Des « capitalistes verts » aux « décroissants localistes »
En partant du pôle le plus libéral, on peut trouver le « capitalisme vert », courant techno-optimiste qui fait confiance aux mécanismes du marché et à l’inventivité de l’homme pour faire face aux enjeux du réchauffement climatique. À l’instar de l’essayiste Ferghane Azihari (chroniqueur au Point) en France, ils constatent que le développement économique va de pair avec la préservation des ressources, l’adaptation aux effets du réchauffement climatiques, et sont prompts à critiquer les solutions étatiques, moins efficaces que les solutions de marché.À LIRE AUSSI Protection de la Méditerranée : une occasion manquée
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Les partisans du « développement durable » considèrent que les enjeux environnementaux doivent être pris en considération dans le fonctionnement économique de nos sociétés, mais sans que cela se fasse au détriment de la croissance économique ou du social. Ceci suppose la mobilisation de tous les types d’acteurs, mais aussi certaines interventions de l’État pour que les externalités négatives de la pollution soient imputées aux acteurs économiques. Les solutions de taxation du carbone ou de création de marchés de droits à émettre sont représentatives de cette manière d’appréhender le problème.
La troisième catégorie, que nous appelons les « planificateurs verts », comprend ceux qui considèrent que face à l’ampleur du défi climatique, il faut conférer à l’État ? et à des spécialistes à son service ? un large pouvoir pour organiser la société en vue d’y répondre. L’idée de remplacer la coordination spontanée des activités des individus en société par l’État pour atteindre un objectif collectif (en faisant fi des aspirations individuelles) n’est pas nouveau. C’est ce que les économistes socialistes ont imaginé au début du XXe siècle en poussant la logique parfois aussi loin que de vouloir remplacer les chefs d’entreprise par des ordinateurs pour prendre des décisions à l’échelle de la nation. Dans ce schéma de pensée, l’État est central, et doit orienter le comportement des individus par le bâton (taxes, interdictions, réglementations) et la carotte (subventions, déductions fiscales etc?). Cette posture correspond assez bien à la « planification écologique » proposée par le gouvernement qui a récemment déclaré vouloir récompenser ceux qui rapiéçaient leurs vêtements.
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Enfin, dernière famille d’écologistes, les « décroissants localistes » qui considèrent que le salut de la planète proviendra d’une rupture profonde avec le capitalisme et la croissance. Opposés aussi bien à la croissance économique qu’à la croissance démographique, les partisans de cette option proposent la sobriété volontaire. Il s’agirait de renoncer à nos besoins, réduire notre consommation, et aller à contre-courant des évolutions de la société contemporaine qui tend vers l’internationalisation des flux. Il conviendrait d’en revenir à des communautés humaines plus locales, reposant sur la consommation locale, et échappant à l’imaginaire de la société marchande. Comment se situent les Français par rapport à toutes ces nuances d’écologie ?
L’écologie est une affaire d’État
Selon le regroupement que nous faisons en fonction des réponses aux questions du sondage, il y aurait 12 % d’indifférents, 38 % de partisans du développement durable, 23 % de planificateurs verts, 19 % de décroissants et seulement 4 % de capitalistes verts. On retrouve à travers ces réponses un trait marquant de la culture politique française : un étatisme empreint de méfiance vis-à-vis du marché. Plutôt que de faire confiance aux entreprises, aux collectivités locales, voire aux individus (comme nous le verrons), les Français considèrent qu’il incombe à l’État de résoudre les problèmes en disant aux acteurs privés comment agir.
Lorsqu’on demande aux Français de trancher parmi 6 options de politiques publiques, la plus populaire (27 %) est de faire payer les entreprises qui polluent le plus. La seconde est la mise en place d’une planification écologique (23 %), la troisième est de renoncer à la croissance économique (19 %). Les 3 autres options qui mobilisent des mécanismes de prix carbone (taxe) ou le marché ou les collectivités locales sont ultra-minoritaires. Une fois de plus, on retrouve une forte polarisation politique sur ce sujet. L’option politique préférée des électeurs de Mélenchon est la renonciation à la croissance économique, tandis que ceux de Yannick Jadot et Emmanuel Macron privilégient légèrement la planification écologique par rapport à d’autres options. Les électeurs de droite sont plus favorables que la moyenne aux solutions locales et en lien avec les entreprises. Les électeurs d’Eric Zemmour se distinguent des autres en étant plus nombreux que les autres (notamment ceux du RN) à considérer cet enjeu comme secondaire. Concernant la production d’énergie nucléaire, huit Français sur dix sont pour, et même au sein de la gauche radicale l’opinion est majoritairement pro nucléaire (52 %).
Pas une affaire individuelle
Si les Français sont très préoccupés par le sort de l’environnement et attendent beaucoup du gouvernement et des entreprises, sont-ils eux-mêmes prêts à faire des efforts dans leur quotidien ?
La réponse est, dans l’ensemble, négative. Ils ne sont pas prêts à se passer de leur voiture thermique (61 %), à payer plus cher leur alimentation pour favoriser les circuits courts (60 %), à renoncer à se loger dans une maison individuelle (77 %) ou à renoncer à manger de la viande (68 %). Cependant une majorité est prête à se limiter à 4 vols long-courriers au cours de leurs vies ou à renoncer à l’air climatisé en été?
À LIRE AUSSIPiscines individuelles, la fin du rêve ? Le niveau de diplôme est assez structurant pour rendre compte de ces attitudes : ceux qui ont fait les études les plus longues sont plus prompts à faire des sacrifices pour la planète. Le clivage gauche-droite a également son importance : les individus de gauche étant plus nombreux à déclarer être prêts à faire des efforts. Par exemple, alors que 6 électeurs de Yannick Jadot sur 10 se disent être prêts à renoncer à la consommation de viande, ce n’est le cas que de 35 % des électeurs d’Emmanuel Macron et de 15 % des électeurs de Valérie Pécresse et d’Éric Zemmour.
S’il y a un relatif consensus sur l’urgence climatique en France, il y a dissensus sur les solutions à apporter. Une majorité de Français attendent de l’État des mesures fortes pour résoudre les problèmes environnementaux, ou appellent même à un changement de système économique. Mais ils sont beaucoup plus réticents à faire des changements dans leur quotidien. On en revient à un mal Français bien connu : l’Etat-nounou qui déresponsabilise ses citoyens qui finissent par attendre tout de lui?
- Guillaume Thomas est docteur et enseignant-chercheur en science sociales