Désinformation en ligne : ce que dit le rapport Bronner
Fausses nouvelles, théories complotistes… ces phénomènes existent depuis toujours mais sont amplifiés par le numérique. Comment renforcer la vigilance des citoyens sans limiter des valeurs essentielles comme la liberté d’expression, d’information et d’opinion ? Le rapport Bronner esquisse des propositions.
Internet peut faciliter la diffusion d’informations fausses ou trompeuses au détriment de l’échange argumenté des points de vue. La désinformation en ligne s’appuie sur des techniques en évolution constante.
Le rapport de la commission Bronner intitulé « Les Lumières à l’ère numérique » a été publié le 11 janvier 2022. Il dresse un état des lieux de la désinformation sur les réseaux sociaux. Ce rapport présente une synthèse des « désordres informationnels » à l’ère numérique et des « perturbations de la vie démocratique » qu’ils engendrent. Il fait également des propositions dans les champs de l’éducation, de la régulation et de la lutte contre les diffuseurs de haine en ligne.
Les causes majeures de la désinformation
Le rapport identifie plusieurs causes à cette désinformation dont :
la publicité dite « programmatique » qui désigne l’activité publicitaire pour laquelle l’achat d’espace publicitaire, la mise en place de campagnes et leur diffusion sont réalisés de manière automatisée. Fortes des données récoltées et de l’analyse du parcours des internautes sur le web, les régies sont capables de pousser des contenus ciblés. Mais on constate que ces annonces se retrouvent fréquemment sur des sites propageant de fausses informations ou encore des théories conspirationnistes… Plus une information est choquante, plus elle peut recueillir de clics et de partages. Toutefois, attribuer la responsabilité de l’expansion de sites véhiculant des fake news à ce type de publicité serait réducteur ;
la compétition stratégique : l’espace numérique est devenu l’arène d’opérations informationnelles avec l’émergence de menaces de plus en plus hybrides. Les grandes puissances investissent massivement dans leurs capacités de lutte informatique pour convaincre l’opinion publique de la légitimité d’une cause, pour obtenir un avantage tactique ou pour influencer l’adversaire ;
des logiques algorithmiques qui contribuent à former les comportements, les attitudes, les représentations du monde environnant ou les croyances sans en être directement responsables.
30 recommandations contre les « désordres de l’information »
Dans ce contexte, le rapport présente des recommandations autour de six grands thèmes :
mécanismes psychosociaux ;
logiques algorithmiques ;
économie des infox ;
ingérences numériques étrangères ;
droit et numérique ;
esprit critique et éducation aux médias à l’information (EMI).
Selon le rapport, la meilleure réponse face notamment aux infox induites par le monde numérique est une certaine modération individuelle, « puisque tout un chacun est devenu un opérateur sur le marché en ligne de l’information ».
Comprendre les mécanismes psychosociaux qui rendent les individus perméables aux fausses informations constitue aussi un outil à développer par la recherche.
Renforcer l’enseignement de l’esprit critique et améliorer l’éducation aux médias et à l’information sont également des recommandations fortes du rapport.
La logique sur laquelle la conception des architectures numériques s’appuie, constate le rapport, répond souvent exclusivement à un objectif économique. Il recommande donc d’ouvrir une réflexion pour réguler à terme le design des interfaces utilisateurs.
Le rapport demande enfin d’encourager au niveau national et européen la mise en place de règles contraignantes imposées aux grandes plateformes qui visent, en particulier, les « fausses nouvelles susceptibles de troubler l’ordre public ».
C’est quoi la désinformation sur les réseaux sociaux?
La désinformation n’est pas un phénomène nouveau. Au XVIIIe siècle, on s’inquiétait déjà des fausses nouvelles, en particulier venant de la presse anglaise, qui était particulièrement virulente. Le Morning Post, fondé en 1772, diffamait toutes les figures publiques de l’époque, y compris Marie-Antoinette, en affirmant qu’elle avait une liaison avec un Anglais, et que ce dernier recevait des cadeaux de la Reine. Un autre journal, le Gazetier Cuirassé, lancé par Charles Théveneau de Morande à la même époque, incluait en notes de bas de page la mention précisant que la moitié des informations contenues dans les articles étaient vraies. Au lecteur de décider quelle partie. [1]
Des empereurs romains à Trump, en passant par la propagande menée pendant la deuxième guerre mondiale, l’histoire nous offre en effet une pléthore d’exemples où les fausses nouvelles ont été utilisées comme instrument pour assoir son pouvoir, obtenir un gain, ou pour influencer les populations, en temps de guerre comme en temps de paix. Les campagnes de désinformation, que certains États parrainent plus ou moins directement, font référence à l’utilisation de l’information et des fausses nouvelles pour atteindre des objectifs politiques et militaires. Dans l’histoire moderne de la désinformation, la guerre froide constitue un jalon important. Alors que les tensions entre les deux blocs étaient fortes, la désinformation s’est professionnalisée afin de manipuler le cœur et l’esprit des populations.
Les plateformes de médias sociaux offrent un terrain de jeu idéal pour diffuser des fausses nouvelles. Leur régulation présente de nombreux défis, en particulier lorsqu’il s’agit de leur demander de choisir quel type de contenu censurer. Mais au-delà de cette épineuse question, l’écosystème d’information actuel nous appelle à beaucoup de vigilance au moment de consulter les nouvelles sur ces plateformes.[2] Contrairement à la satire et à la parodie qui peuvent déclencher une réaction émotionnelle mais sans cacher le fait qu’il s’agit d’un faux, la désinformation n’a pas pour ambition première de faire rire ou réfléchir, mais plutôt de manipuler. Afin d’aider à mieux distinguer ces différentes pratiques, et visualiser ce que nous appelons « fausses nouvelles », voici un bref inventaire des formes de désinformation les plus courantes sur les réseaux sociaux :
– Fausse connexion : Ce sont principalement des articles d’actualité et multimédia dont le titre n’a pas ou peu de rapport avec le contenu. À l’ère de la viralité, où les producteurs de contenu tirent leurs revenus de la publicité et du trafic web, un titre est essentiel pour attirer un public et augmenter le nombre de clics. C’est une tactique pour augmenter la visibilité du contenu.
– Contenu trompeur : Il s’agit d’une information erronée mais utilisée dans un contexte correct. Par exemple des pourcentages et autres graphiques qui exagèrent certains aspects d’une situation. L’objectif est ici d’associer du contenu correct et vérifiable avec des données fausses, afin de représenter fictivement un aspect de la réalité. C’est particulièrement utilisé pour les questions sensibles de société (ex : chomage, immigration, genre, etc.).
– Faux contexte : Il s’agit d’une information correcte utilisée dans un contexte incorrect (par exemple, expliquer que les femmes gagnent 20 % de moins que les hommes en moyenne au Royaume-Uni, alors qu’il s’agit en fait d’une moyenne au sein de tous les États Membres de l’Union Européenne).
– Contenu imposteur : Il consiste à imiter une source d’information officielle, par exemple des grands médias tels que la RTS ou la BBC, pour diffuser des fausses nouvelles. Le contenu imposteur gagne ainsi en crédibilité grâce à sa fausse source officielle, ce qui permet de diffuser des fausses nouvelles (par exemple, les données des sondages) sous couvert de vérification et rigueur journalistique.
– Contenu manipulé : Il s’agit de tous les efforts visant à manipuler le contenu écrit, les images et les vidéos pour tromper le public. Par exemple les deep fakes sont des vidéos qui dissocient l’image et le son. Elles montrent un personnage public mais avec les paroles d’un imitateur, ce qui par conséquent permet de lui faire dire ce qu’elle n’a jamais dit.
– Contenu fabriqué : Cette dernière catégorie est la plus élaborée. Le contenu faux est créé de toute pièce. Il peut avoir la forme d’un site web sous une apparence sérieuse (ou pas selon l’audience choisie) et qui publie du faux contenu multimédia. Par exemple, la chaine TV chinoise CGTN a publié une vidéo dans laquelle des Italiens jouent l’hymne chinois et chantent “Grazie China”[3], ce que plusieurs chercheurs indépendants ont démontré comme faux.
Ainsi, même si la désinformation n’est pas nouvelle, c’est bien leur mode de diffusion et notre vulnérabilité face à ces nouveaux modes de diffusion qui pose problème. Garder un esprit critique face à tout contenu publié sur les réseaux sociaux (et par email) n’est pas forcément la manière la plus simple d’utiliser (et de profiter) de ces outils, mais au temps du télétravail et des cyber-attaques qui se multiplient, il est essentiel. Derrière ces efforts de désinformation se cachent effet souvent des États tiers qui ont pour objectif de vulnérabiliser nos démocraties et polariser la société. Restons vigilants.